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blog de Miereine
6 juillet 2007

LE BOULANGER DE CAMPAGNE

                     

                                                                                         Corbeillepains

  LE BOULANGER DE CAMPAGNE

J’aimerais vous faire vivre le métier de boulanger de campagne, tel que mon père l’a exercé pendant  les années de guerre et d’après guerre (1938 – 1950). Les conditions de travail étaient  rudes. Les ouvriers  boulangers étaient surnommés les «  mineurs blancs ».

Marcel, Joseph et Pierre ses fils au fournil à CORCELLES EN BEAUJOLAIS 

                                  fournil

On peut  apercevoir, dans ce local très sobre, à gauche le vieux pétrin en bois. Le foyer du four et sa porte à balancier.  Au plafond les toiles mises à sécher sur les pelles  suspendues.  Au sol quelques  rondins de bois qui  indiquent  que les «  commis » s’apprêtent à enfourner le bois pour le sécher sous l’œil intraitable du patron. 

pr_sentation

                                                                       

Marcel CRÉMY est arrivé le 06   Janvier 1937 à CORCELLES EN BEAUJOLAIS. Il avait travaillé pour les automobiles Marius .BERLIET à Vénissieux, Rhône .Le 14 Mars 1933, le contexte de l'atelier ne lui plaisant pas il décidait d'entrer en apprentissage de boulangerie  chez ROULOT-MIGNON 99, Grande Rue MONTLUEL Ain.

INSCRIPTION_JANVIER_1937 Récepissé du registre du commerce 1937

Il n’avait connu que des remplacements, Lyon puis en dernier lieu LACHASSAGNE, et il eut connaissance de ce fonds, BOULANGERIE CAFÉ JOURNAUX qui se vendait aux enchères. Les tenanciers avaient, selon l'expression du moment, déménagé à la " Cloche de bois"   (1), ou mieux filer à l'anglaise. 

(1)   Déménager, partir  "à la cloche de bois", signifie le faire en catimini, en se cachant du propriétaire, parce qu’on n’a pas payé.  -  Pourquoi la cloche de bois ???   La cloche de fonte fait du bruit et pas celle de bois…

La famille s’installa puis  s’agrandit avec  3 enfants, 1937 – 1938 – 1939.  Quand la guerre éclata mon père fut  réquisitionné  alors qu’il aurait du bénéficier de sa situation commerçant  et père d’un tout petit nouveau-né. Pendant 6 mois ma mère a du faire appel à un ancien ouvrier boulanger pour le remplacer. J’ai retrouvé la pétition signée par tous ses clients demandant son retour.  Le commerce s’endettait.

Après ce premier ennui vint la pénurie de la farine et les restrictions qui  durèrent de 1940 à 1948.


La guerre et l'Occupation ont complètement perturbé les approvisionnements. On mélange au froment

40 %de farine de succédanés (seigle, orge, riz et maïs) la fabrication est difficile. A la qualité très médiocre du pain s’ajoutent les tickets de rationnement.


Certains paysans remettent en chauffe le vieux four à pain, mais la plupart  plante les céréales  avec lesquelles ils pratiqueront l’échange pour obtenir leur pain.

.

Le français  va beaucoup souffrir des toutes ces privations et surtout du pain. Le pain devient une denrée  de grande valeur.   Il n’était pas question de laisser un morceau sur la table, ou de manger sans pain car il  représentait la consistance du repas et une richesse  qu’il fallait traiter avec respect.   

Situation du commerce plein centre du village face à l’église

Vous remarquerez que dans un petit village de campagne  nous trouvons très souvent un multi commerce, - pain – café – restaurant – journaux –poids public ; je suppose que cet ensemble était indispensable pour  pouvoir vivre de son travail.  «  Mille métiers mille misères » Nous travaillions 7 jours sur 7 -

   Carte postale  1937 BOURG_DE_CORCELLES 2 bâtiments sur la gauche

                               1950CARTES_POSTALES_1950_

Lieu de travail et matériel :

Le boulanger  évoluait dans une pièce appelée «  le fournil ». On trouvait le pétrin,  espèce de grande cuve en bois rectangulaire, fixée à hauteur de travail qui servait  autrefois à battre la pâte à pain, et dans lequel on déposait le «  pâton » restant de pâte qui allait servir à préparer  «  le chef » . La pâte à brioche sera toujours faite  à la main.    Mon père s’était équipé d’un pétrin mécanique ; une grande cuve ronde en inox où deux bras se baissaient  pour malaxer la farine et l’eau.  Je le revois comme un gosse devant un jouet. Ce matériel lui avait enlevé une grande peine….   

   Mécanique                                                pétrin bois

petrin        vx_p_trins__EN_BOIS_

Puis au fond de la pièce le four. Sur la face une porte en fonte pour accéder à l’intérieur  très lourde à basculer.  Au dessus des «  ouras » permettent de faire échapper la vapeur.  Sur la droite une petite niche  accueille la lampe acétylène, (1) seul moyen d’éclairage.  En  dessous le grand foyer où l’on entassait des fagots de «  charbonnettes » (2)  pour chauffer le four.

         

                                                                  Levier d’ouverture

levier

A droite de ce four une pièce qui a une grande importance «  La gloriette » (lieu de repos)   Elle accueille le chariot  sur lequel est disposé le pain pour sa période de levage.  Sa situation contiguë au four lui assure la chaleur nécessaire pour  obtenir une pâte bien levée.

Attenant au four la chaudière pour la production d’eau chaude – Et oui, pas de chauffe-eau électrique de ce temps.

A droite dans l’angle il y a également la boite à sel – Elle est en bois pour conserver le sel au sec, d’une capacité d’environ 

100 kg

.

MATERIEL : utilisé à cette époque :  Le  matériel  pour la  fabrication

                                                                                                                 

  • La balance suspendue BALANCE_SUSPENDUE

  • Le racloir

  • La lame à  ciseler le pain

  • Le coupe pâte

      

                                                                                                                                                                                                     

Différentes formes de pelles à enfourner –     pelle_enfourner      

  • La ronde pour les boules

  • La petite effilée pour les baguettes

  • La  longue un peu plus large pour le gros pain et la flûte

  • Banneton pour pain allongé

bannetons                bannetons2  panière pour les boules

                                                                                                                                                                       

            

·         Le grand panier d’osier pour recevoir le pain sortant du four

·         Claie de bois  avec toile pour baguette très fine ou «  ficelle »

        planche_pour_ficelle_boulan_WEB_                                                                        

Les outils pour le four :

        ecouvillon                             GUEULARD

                            L’écouvillon          le gueulard

         Ecouvillon :: long manche muni à son extrémité d'une boucle à laquelle était attaché un gros morceau de tissu mouillé que l'on passait sur la sole pour la nettoyer de ses poussières de charbons de bois après la phase de chauffage du four.

  • Le racle : racloir à manche pour tirer les restants de charbon de bois

  • Le «  gueulard »     Bouche en fonte qui crache la chaleur émanant du foyer dans le four.

Pour terminer le décor de l’atelier, le chevalet sur lequel  les toiles sont empilées pour sécher.

D’autres  locaux  sont utilisés pour le stockage :

·         Le grenier où sont empilés  une fois par mois les fagots de bois, appelés «  charbonnette «  il est important d’avoir un bois très  sec.   

·         La  «  farinière » qui comme son nom l’indique abrite les énormes sacs de farine qui doivent eux aussi  être conservés  dans un lieu sec.

(1)    LAMPE ACETYLENE   

lampe_leg lampe_ac_tyl_ne_                                                             

Un peu d’histoire : Le gaz acétylène fut isolé dès le début du XIXe, son usage ne se généralisa qu'au début du XXe siècle.

l'acétylène fut synthétisé  par le savant français Marcelin Berthelot (1827-1907). En 1894, Henri Moissan,  mit au point une méthode simple et peu onéreuse de préparation de l'acétylène. Il chauffa à très haute température (plus de

3000 °C

) dans un four électrique un mélange de coke et de calcaire et obtint du carbure de calcium en fusion. Liquide à la sortie du four, le carbure de calcium se solidifie en refroidissant. Après refroidissement le carbure est concassé et calibré afin d'obtenir différents diamètres. Les cailloux ainsi obtenus de couleur gris-blanc, très durs, sont  conditionnés et stockés sous cette forme dans des boîtes étanches à l'abri de l'humidité.

Outre son usage industriel, l'acétylène fut également une source d'éclairage simple et peu onéreuse qui remplaça petit à petit l'huile et le pétrole.

La lampe à acétylène fonctionne selon le principe de la chute d'eau. Elle se compose de deux réservoirs : un réservoir d'eau surmontant un réservoir de carbure de calcium aussi appelé carburateur. Un orifice percé au fond du réservoir d'eau permet l'écoulement régulier du liquide dans le réservoir inférieur. Un robinet à ouverture réglable permet d'en contrôler le débit d'écoulement. Ce robinet est composé d'une tige filetée appelée pointeau. Lorsque l'eau parvient dans le carburateur, au contact du carbure elle provoque une forte réaction chimique qui produit un dégagement d'acétylène. Le gaz s'échappe vers l'extérieur par une buse prévue à cet effet, avec  en son extrémité un brûleur ou bec. C’est ainsi qu’au contact d’une flamme ce gaz prend feu et donne de la lumière. Lorsqu'il s'échappe d'un tube effilé ou d'une fente très étroite, l'acétylène brûle dans l'oxygène de l'air avec une flamme extrêmement brillante. A volume égal, cette flamme a un pouvoir éclairant environ quinze fois supérieur à celui du gaz de houille.

(2)   la charbonnette -  le fagot de bois est constitué de rondins de 5 à

6 cm

de grosseur, coupés à la même longueur, environ 60 à

70 cm

– Il est normalement destiné à faire du charbon de bois, ce qui donne son nom -  Du reste le boulanger muni de son ringard retire les braises encore rouges du foyer, lorsque le four est arrivé à température de cuisson, afin de pouvoir le récupérer pour une seconde utilisation, voire la vente.

LA PREPARATION

Mes frères et moi-même avions tous une tâche à accomplir  autour de la fabrication du pain pour soulager mon père.

La préparation demandait un certain temps en raison d’un tas de circonstances, dues à la période de guerre, à laquelle je voudrais m’attacher. Nous étions jeunes et combien de fois nous nous sommes mis à deux pour réparer l’oubli, éviter la punition, et accomplir ces tâches ennuyeuses sans gaité de cœur, qui s’ajoutaient aux devoirs d’école.

LE BOIS

Pour chauffer le four  et l’eau nous achetions de la charbonnette bottelée à la maison DUCERF de

LA GUICHE

en Saône et  Loire. Elle nous livrait environ 22 cordes de bois, 913 fagots, ce qui correspondait    aux besoins semestriels, ainsi que des «  moulé long » à refendre. Le bois se présentait coupé en rondins d’une longueur de 0m 70 et ficelés en fagots. Par une manutention périlleuse,  à l’aide d’une échelle nous stockions le bois dans un grenier, à l’étage de façon à ce qu’il soit aéré et qu’il commence à sécher.  Néanmoins, il gardait un peu d’humidité et chaque fin  d’après  midi  la quantité de fagots journalière était descendue et enfournée quelques instants dans le four afin d’utiliser le  restant de chaleur pour obtenir un bois très sec et ainsi donner l’assurance d’un bon feu.

(La corde)  correspond à

128 pieds

ronds et donne 2,80 stères - 

L’EAU

On devait également prévoir le remplissage de la chaudière – Il n’y avait pas l’eau courante dans le village. Nous avions un puits, sous la remise derrière la maison, qui était alimenté par une source très fraîche. C’était un privilège qui nous était envié par beaucoup de voisins à qui nous offrions gratuitement leur eau quotidienne. Je citerais au passage, les familles proches, et

la Maison

familiale école privée d’agriculture. Avec les élèves qui étaient chargés de cette corvée nous avons passé de bons moments, que de bons souvenirs.

Tous les soirs nous devions, à l’aide d’une pompe  murale, remplir un réservoir installé en hauteur. Le réservoir contenait environ

200 litres

, le besoin en eau pour la journée. Ensuite une fois la chaudière pleine nous allumions et entretenions le feu jusqu’à ce qu’elle soit à la température requise pour le moment du pétrissage.

LE LEVAIN  «  CHEF »     

   Une portion de pate était prélevée et  réservée au cours de la dernière fournée, ce qui constituait  le départ du LEVAIN CHEF. On trouvait  ici les premiers ferments.

  Puis à ce mélange on ajoutait  farine et eau qu’on laissait reposer plusieurs heures.» Le chef voit alors son poids doublé ou triple

C’est  cette préparation, qui ajoutée au pétrissage de la fournée remplaçait la levure et permettait d’avoir un pain très aéré se conservant  plusieurs jours.   

INGREDIENTS : farine –sel – eau - levure  ou levain  «  le chef »

La farine de blé  est celle utilisée le plus couramment à cette époque, bien qu’avec les restrictions on ne parlait plus de farine blanche (uniquement froment) mais de mélange (orge, seigle, maïs et blé)

.Proportions :    Pour un sac de

100 kg

de farine on obtient

162 kg

de pâte et environ 

140 kg

de pain. 

La levure de bière dont le nom scientifique est Saccharomyces cerevisiae,  est un champignon unicellulaire. Elle se présente sous forme de pate que l’on délaye dans l’eau. Elément essentiel,   elle assure la fermentation et  le levage de la pâte. 

Elle a été introduite  au xviii° siècle mais le pain sur LEVAIN  reste un bien meilleur produit.

Le sel -   on utilisera du gros sel  -

Il développe la saveur des pâtes. Il régularise la fermentation en ralentissant très légèrement l'activité des cellules de levure  Il favorise la coloration de la croûte.

LA FABRICATION

:

LE PETRISSAGE MÉCANIQUE :

Les ingrédients sont versés dans la cuve du pétrin -  La vitesse de rotation a axe oblique est de 40 tours/minute en 1ère vitesse lente et 80 tours/minute en 2ème vitesse. Ce n’est que bien plus tard qu’on s’apercevra que plus la vitesse est rapide plus le pain est blanc et levé.


Pour le frasage (mélange des ingrédients) le temps peut varier de 3 à 5 minutes et doit permettre un mélange homogène et surtout amener la pâte à la consistance désirée – (1ère vitesse.)

Le pétrissage son rôle consiste à malaxer la pâte pour y incorporer le maximum  d’air, en 2ème vitesse.


Le pétrissage permet d'étirer et d'assouplir les chaînes de gluten, afin d'obtenir en fin de pétrissage un tissu bien compact et souple, suffisamment extensible pour permettre la rétention du C02. Le temps de pétrissage dépend du volume du pain souhaité, mais aussi de la qualité  de la farine.

B/  la mise sur place manuelle :

A l’aide de sa poignée coupante,  avec dextérité il découpe une portion qu’il jette dans la balancelle. Dans l’autre plateau est posé le poids. Le geste est précis et il ne se trompe pas souvent de poids. Il juge à l’œil  la quantité selon qu’il va mettre sur place un gros  pain ou une baguette. Le pâton, pesé, est déposé sur la table à pétrir, appelée aussi «  le Tour ».

Là aussi les gestes sont méthodiques – aplatir et replier plusieurs fois la pate pour incorporer un maximum d’air et la rouler pour lui donner la forme.   Avant cette étape  il a disposé  les bannetons sur le chariot, avec au fond de chacun une toile  préalablement fariné,  dans lesquels le serpent de pain ou la boule sera déposé. 

   

pain_levain_29pain_levain_28pain_levain_27

                                    

Lorsque la fournée est complètement mise en forme le chariot est conduit dans la «  Gloriette » pièce contigüe au four qui en bénéficie d’une forte chaleur, condition indispensable pour faire lever le pain.

/ LE CHAUFFAGE DU  FOUR

   FOYER_FOUR   

                                              Le foyer est profond pour recevoir les fagots de bois.  Une fois le foyer bien en feu un «  gueulard » placé sur la bouche du foyer à même la «  sole » du four propulse  la chaleur. Il est dirigé à l’aide d’un grand pique feu  pour chauffer l’une après l’autre toutes les faces du four.   Les  cendres se répandent sur le carrelage, donc avant l’enfournage  et à l’aide d’un « écouvillon »   en toile humidifiée on nettoie la « sole » prête à recevoir le pain.  Le » gueulard » est retiré et remplacé par une gamelle remplie d’eau qui va dégager la vapeur pour dorer la croûte du pain.

Dès que le four est prêt on vide le foyer à l’aide d’un «  racle  » pour en extirper le bois qui n’a pas entièrement brulé et qui nous donne le charbon de bois. Il faut alors   humecter les morceaux de bois  encore incandescents pour stopper la consumation et,   une fois refroidis, soigneusement les mettre  en sac  pour la vente.

Le charbon de bois : Jusque dans les années 50, il n'y avait ni gaz, ni électricité dans les campagnes. On faisait du feu pour cuire les aliments à l'aide de bois ou mieux de charbon de bois. La vente de celui-ci, même en petites quantités procurait un peu d’argent. Il n’y avait pas de gaspillage.

CHARBON_DE_BOIS_

/

LA CUISSON

: 

Le pain est mis au four à l’aide d’une pelle, adaptée selon la taille du pain. (Longue pour les baguettes, ronde pour les boules)   Une pincée de farine, la corbeille renversée sur la pelle, et  l’enfournage  sont autant de gestes  cadencés et méthodiques que mon père fait avec  élégance. Un dernier geste est donné avec la lame, trempée dans l’eau, pour ciseler la croûte du pain, dessin appelé la «  grigne ».Après chaque pain il glisse la lame entre les deux lèvres  pendant le temps de l’enfournage  pour avoir les mains libres et ne pas perdre de temps.

          les grignes Grigne pain_levain_10

Il restait toujours quelques corbeilles  de pain qui n’avaient   pas tenu et qui étaient enfournées seules.

On les appelait –«  pain d’après coup ».  Moi j’adorais ce pain que l’on devait laisser un peu plus longtemps en raison du four légèrement refroidi. Il   était un peu moins levé mais très  croustillant.

A la sortie du four le pain est effleuré à l’aide d’une balayette pour ôter le résidu de farine et de cendres qui a pu rester, déposé dans une grande panière et emporté sur le présentoir au magasin.

Il me semble encore humer l’odeur de ce bon pain sorti du four. 

E/    RANGEMENT

Je n’oublierai pas le «  chevalet »  -  Une espèce de tréteau sur lequel on entassait les toiles pour les faire sécher.  Le jeudi où nous n’avions pas d’école,  nous nous servions de cet outil pour   notre cours de gymnastique avec mon père.

A cet endroit je rappelle les rafraîchissements des corbeilles dont il fallait changer la toile. C’était un travail de couture mais pas vraiment dans la dentelle.

Les corbeilles et  bannetons sont empilés sur le chariot en quinconce pour  mieux sécher jusqu’au lendemain.  

Outre le pétrissage et la panification toutes ces  tâches annexes sont assurées par nous les enfants pendant que mon père fait les tournées de livraison régulières, les trajets chez le meunier ou diverses courses que les autres activités du commerce lui imposent.

 

Après  une courte nuit le boulanger doit se lever   très tôt.    Le temps de pétrissage, de  repos de la pate, la mise sur place,  le temps de levage, d’enfournage  et de cuisson, pour une seule fournée totalisent  de 4 à 5 heures.  Si le pain doit  être à l’étalage à partir de 7 heures du matin, on note que le boulanger  commençe  sa journée vers 2 heures du matin.  Il lui arrive souvent  de préparer le levain  dès la veille au soir  car il faut  enchainer deux ou trois fournées selon le jour de la semaine.

LE DIMANCHE et

la BRIOCHE

DU

BOULANGER   

On ne peut pas écarter la fabrication de la brioche du dimanche. C’était la seule pâtisserie que les familles se permettaient d’acheter. La préparation des ingrédients m’était réservée :

LA BRIOCHE DE

PARIS      Pour

5 livres

de brioches :    

1 kg

de gruau               brioche_couronne

500 gr de beurre

10 œufs

50 gr de sucre

20 gr de sel

20 gr de levure

Parfum- en général fleur d’oranger

Pendant cette fastidieuse époque nous achetions les œufs en quantité et ils étaient conservés dans un grand pot en gré.  Les œufs étaient délicatement posés dans le pot et recouverts d’un liquide à base de silicate  qui obstruait la coquille et permettait  leur conservation.  Avant leur utilisation il convenait de les rincer à grande eau.  Nous ne connaissions pas le réfrigérateur, seule  la terre battue de la cave donnait la fraîcheur.

Cette pate  est préparée à la veillée du samedi soir  pour pouvoir intercaler façonnage et cuisson entre deux fournées de pain le dimanche très tôt – La sortie de la première messe (7 h30) nous amène les premiers clients.

Pour former la brioche, mon père met le pouce au milieu du pâton et tourne très rapidement dans ses mains jusqu’à obtention de la couronne – Puis avant l’enfournage,  on badigeonne la pâte avec un pinceau d’ un   mélange de jaune d’œuf battu et d’eau pour obtenir un joli doré – Avec un ciseau on découpe le dessus de la pate en tournant la main très rapidement.

Nous n’aurions jamais imaginé un dimanche sans brioche.  Quand par hasard il en  restait deux ou trois nous avions créé notre petit  ‘ baba au rhum » pour ne rien jeter-  On faisait un sirop de sucre fondu mélangé au rhum.  Par ailleurs nous montions une crème au beurre. La brioche était trempée dans le jus, puis fendue par le milieu et garnie de la crème.

Il me reste encore à ce jour la préférence pour la brioche du boulanger. Ce propos m’appartient mais essayez !!!

LES PARTICULARITÉS  de ce temps de guerre :

J’en viens à la spécificité de la boulangerie en campagne et des exigences dues à cette période difficile.

Je vais vous expliquer les comptes  «   PROPRIETAIRES – ECHANGISTES  »

Certains clients propriétaires agriculteurs  récoltaient  leur blé afin de pouvoir l’échanger contre du pain. D’où une sécurité d’avoir à manger et un rapport plus important que la seule vente des céréales.

REGISTRE_BOULANGERIE           Compte__ECHANGE   

               

    

Suivi d’un compte échangiste – facturation sur 10 mois : Année 1950

Cette famille  a obtenu grâce à la production de son blé,

375 kg

de farine qui lui a permis d’avoir en échange  487k, 500 de pain, soit  les besoins pour 3 adultes sur 10 mois.  On comptabilisera une moyenne de

48 kg

par mois et

16 kg

par personne, environ 3 fois plus que de nos jours.

Une simple information, le coût de la mouture et de la cuisson lui était facturé  de 13,50 à 14,00 francs le kg de pain, soit 7.458 Frs, ce qui représentait un gain de : 

487,500 k x 70 frs (prix de vente du kg de pain) =  34.125  moins 7.458 =    26.667 frs. (difficile  de comparer avec les euros et le pouvoir d’achat de l’époque)  

compte_facture___changiste

Mon père devait aller chercher le blé au domicile du client, pour lui rendre service, car il  utilisait sa camionnette BERLIET de grande capacité, pour le livrer chez le meunier Monsieur TONDU à Cercié.  Puis il s’arrangeait avec lui pour le retour de la farine. Certains clients donnaient également du maïs qui était ajouté à la farine de  blé.

Les comptes étaient  complexes.  Le meunier facturait à mon père le travail, appelé «   mouture » et devait lui remettre la quantité de farine et de son, (enveloppe du grain de blé)   en fonction du poids de blé livré pour chaque client.   Un registre était tenu et la farine ne circulait qu’avec acquis (récépissé de déclaration)  Le boulanger   devait fournir  une certaine quantité de pain. Il facturait au client la cuisson, prix fixé par arrêté préfectoral, évalué au kilo de pain. Puis,  venait l’histoire du son – Si le client avait des animaux il le récupérait, le cas contraire mon père devait lui racheter. Puis nous le vendions ensuite aux  non agriculteurs qui avaient des animaux.

 

Le bénéfice n’était pas en rapport avec le travail donné, le prix fixé ne tenant pas compte des frais annexes. 

Les registres étaient supervisés  par le contrôleur des céréales  de

la Préfecture

registre_entr_es_sorties

Une déclaration de stock  était déposée chaque mois  à

la Régie

de CORCELLES EN BEAUJOLAIS tenue par  Madame NESME, buraliste mandatée par le bureau des CONTRIBUTIONS INDIRECTES   de Fleurie  pour  effectuer ces opérations.

REGISTRE_TICKETS_1942_1943   COLLECTEUR__TICKETS

d_claration_de_stock

Cette pratique légale, était très surveillée par les services des fraudes et de fiscalité, et procurait un surcroît de travail  administratif  pour l’ensemble du personnel.

Chaque mairie délivrait une carte de pain  qui désignait le boulanger chez qui  la personne devait acheter son pain.  Lorsqu’elle changeait de domicile  une liaison était faite entre les mairies et le ministère du ravitaillement.

   

Client de la commune voisine                                                    

PRODUCTEUR_NON_ECHANGISTE  PRODUCTEURSCARTES_VENUS_D_AILLEURS_  Famille venue de  Reims  Marne

Acquis pour le transport des marchandises - 2  sacs de maïs soit 1 quintal

ACQUIS_TRANSPORT

Tout transport de marchandises  était obligatoirement  accompagné d’un Bon de circulation qui devait être le même jour transmis   au Siège du ravitaillement général.

PERMIS_CIRCULATION

PERIODE DU RATIONNEMENT  ET DES TICKETS : De1940 à 1950:

Ayant déjà expérimenté un système de rationnement une vingtaine d'années plus tôt, après la guerre 14-18, il a été relativement facile pour les autorités de mettre en place un système s'inspirant de celui -ci. Un Ministère du ravitaillement fut créé. Le dimanche 10 mars 1940, un décret et un arrêté interministériel paraissent au journal Officiel, fixant la date du recensement et les conditions d'établissement des cartes de rationnement, impliquant que chaque personne doit remplir une déclaration le 3 avril au plus tard afin d'être classé dans une des catégories prévues  pour l'alimentation et le charbon. Le 5 mars, un nouveau décret fixe les restrictions sur la viande. Le bœuf, veau et mouton sont interdits à la vente en boucherie trois jours consécutifs par semaine; la viande de charcuterie pendant deux jours et la viande de cheval, mulet et âne pendant une journée. Toujours en mars, des décrets imposent la fermeture des pâtisseries et l'interdiction de la vente d'alcool. Les premières cartes de rationnements sont distribuées dès octobre 1940 pour les produits de base: pain, viande, pâtes, sucre. Comme vous pourrez le constater avec les documents d'illustration, le rationnement s'est mis en place par le biais de cartes d'alimentation et de tickets. La population Française (à l'exception des militaires) était partagée à l'origine en sept catégories. A chacune correspondait une carte spécifique:

Arrêté du 20 octobre 1940, publié au J.O du 23  octobre, page 5395.

Catégorie E: Enfants des deux sexes  âgés de moins de trois ans.

Catégorie J1: Enfants des deux sexes âgés de trois à 6 ans révolus.

Catégorie J2: Enfants des deux sexes âgés de  6 à 12 ans révolus.

Catégorie A: Consommateurs de 12 à 70 ans  ne se livrant pas à des travaux de force.

Catégorie T: Consommateurs de 14 à 70 ans se livrant à des travaux pénibles nécessitant une grande dépense de force musculaire.

Un arrêté du 11 décembre 1940, publié au J.O. du 12 décembre, page  6103 fixe les travaux, professions, emplois et situations spéciales dont les consommateurs peuvent se prévaloir pour être classé en catégorie T.

Catégorie C: Consommateurs de 12 ans et sans limite d'âge se livrant personnellement aux travaux agricoles

Catégorie V: Consommateurs de plus de 70 ans dont les occupations ne peuvent autoriser un classement en catégorie C.

Selon les catégories ci-dessus, les rations journalières oscillaient entre 100 et

350 grammes

par jour pour le pain; de

180 grammes

par semaine pour la viande; de

500 grammes

de sucre par mois. Le lait était réservé aux catégories E, J et V. Le vin était réservé à la catégorie T, etc.

En ce qui concerne le pain, la ration journalière descendra à

275 grammes

jour en 1942. Ce pain (de régime!) était constitué de farines de maïs, fève, seigle ou orge.

FEUILLES DECLARATION ET RENTREE DES TICKETS

         

L

e collecteur de tickets  était envoyé chaque mois au :SECRÉTARIAT D’ÉTAT AU  RAVITAILLEMENT – Préfecture du Rhône

Ma carte : CARTE_miereine CARTE_2_miereine le textile      

LA VENTE

/

Parallèlement à la vente faite au magasin, le boulanger devait assurer des tournées régulières dans tout le village.  Les clients faisaient connaître à chaque livraison la quantité de pain et les autres produits

(Farine, son, et même le paquet de petits gâteaux) que mon père  apporterait au prochain passage.

Je me souviens de la préparation de la tournée – Suivant la fatigue de mon père cette opération se faisait avant ou après la sieste, repos bien mérité. Il se tenait de l’autre côté de la banque, avec sa liste pour me faire passer le pain retenu que je pesais sur notre balance BERKEL .

Balance  KERKEL BALANCE_196b_1_b

Le prix du pain étant imposé au kilo nous devions peser chaque pain. Afin de faciliter la distribution une petite fiche  en losange était glissée dans une fente du pain, faite avec un couteau, sur laquelle on lisait, le nom du client le poids et le prix du pain. Un client sur deux payait  le jour même, c’est ainsi qu’il devait  tenir un cahier de livraison afin d’établir la facture mensuelle.

  Au retour de chaque tournée il fallait débarrasser la voiture, faire la caisse et saisir toute opération sur les registres. Mon père faisait de grandes journées.  Le retour était vers  19 heures ou plus et  avant de pouvoir s’offrir une petite nuit de sommeil il devait  superviser la préparation  du prochain pétrissage et  tout ce qui se rapportait au commerce du café. Il avait le souci de l’achat  et de la conservation du vin, la mise en pot  pour la vente.

On avait l’habitude du crédit -  C’est souvent l’homme en revenant des champs, ou les enfants à la sortie de l’école qui venaient chercher le pain quotidien.  Ils n’avaient jamais d’argent et on notait tout sur un agenda. On ajoutait quelque fois le petit blanc, l’absinthe ou le petit marc, qui était pris rapidement, voire le paquet de cigarettes que l’on avait en dépôt.  C’était un fait acquis et le dernier jour du mois il fallait préparer le total du par chacun, c’était l’occasion de voir l’épouse qui bien souvent tenait les comptes. 

Il fallait également faire vérifier, balance et bascule par le Service  des poids et mesures. Une pastille de plomb fixée sur l’appareil était poinçonnée à chaque passage. 

Vu la loi du 4 juillet 1837 modifiée relative aux poids et mesures

Vu le décret du 30 novembre 1944 portant réglementation d'administration publique en ce qui concerne le contrôle des instruments de mesure

ET DE NOS JOURS :

Depuis ce temps  les moyens de fabrication archaïques ont bien changé – Les fours sont électriques. Les pates peuvent être préparées à l’avance et conservées en chambre froide, ce qui a permis aux hyper marchés de créer leur propre rayon de pain et pâtisserie et pouvoir servir une population plus dense. 

Néanmoins l’artisan boulanger a du se former et obtenir ses propres lettres de noblesse. Il  offre une marchandise de plus en plus diversifiée pour fidéliser sa clientèle. – le pain aux noix, aux lardons, aux céréales, de seigle, de son etc. et surtout il fabrique lui-même sa pate, il n’utilisera jamais une pate préfabriquée  ce qui le différenciera des magasins de vente de la grande distribution. Le métier reste  pénible

Petite anecdote, j’imagine la tête de mon père voyant qu’aujourd’hui les clients recherchent du  pain au son,     lui qui    n ‘aspirait  et s’évertuait qu’à faire du bon pain blanc….

Ce noble métier est récompensé de nos jours par  le Trophée St-Honoré, le patron des boulangers. J’ai été très heureuse d’assister en ce 16 Mai 2006, à l’occasion de la fête du pain, à la remise de cette récompense à  un de nos jeunes boulangers bellevillois, Michel PERRIN, reconnu par ses pairs.

LA SYMBOLIQUE

DU

PAIN  dans les religions :

Chez les Hébreux, on ne devait pas consommer de pain avant d’avoir fait offrande de la première miche de la récolte.

Dans la civilisation juive d’aujourd’hui, le pain ne se coupe pas, il se rompt.

C’est dans le culte catholique, que la symbolique du pain est la plus forte avec notamment la cène, dernier repas du Christ, contenant l’acte fondateur de l’Eglise dans le partage du pain. C’est aussi au cœur du “Notre Père”, que le pain quotidien est demandé.

Enfin reste encore  quelques coutumes : Comme : toujours poser le pain à l’endroit (au Moyen-âge, le pain à l’envers indiquait celui réservé au bourreau) ou encore dessiner une croix avec la pointe du couteau avant de le trancher.

LES IMPREVUS ET ANECDOTES/

Compte tenu des installations  précaires il arrivait que la froidure exceptionnelle de l’hiver nous privait d’eau. Je me souviens d’une année mémorable (1956) où il fallut dégeler les conduites au chalumeau ;   le pain n’avait  été livrable qu’à 18 heures. Sans oublier les pannes d’électricité  à cause desquelles mon père était   obligé  de se remettre au pétrissage à la main. 

Il y avait aussi  les grands moments de colère, le four pas assez chaud, ou trop chaud, le pain qui ne levait pas,   ce n’était pas le moment de le chatouiller. 

Personne ne pourrait se douter du plaisir que j’ai eu,  aux premières vacances que mon père avait pu se donner, en accord avec

la Coopérative

son concurrent de l’époque, d’aller acheter mon pain, soit d’être comme tout le monde. Et encore mon père avait soigneusement gardé des grosses boules de pain de façon à repousser de plusieurs jours ce délicieux achat. 

QUELQUES CITATIONS :

- être bon comme le pain

- long comme un jour sans pain

- gagner son pain à la sueur de son front

- manger son pain blanc le premier

Le pain est  au cœur de notre patrimoine et il a une grande  place dans mes souvenirs de famille. Je terminerai par ce poème en hommage à mon père  et à son dur métier.

LE PAIN

Toi qui mange ce pain d’une figure sereine

Sais-tu ce qu’il a coûté de peine ?

Demande au paysan, au meunier, au mitron

Combien de fois ça n’a pas tourné rond

Mais te voyant te régaler

De tous leurs efforts ils sont récompensés

Et toi, « Mitron » pour ta mauvaise humeur tu es pardonné.

St_HONORE articlejournal

(3) Fournée : quantité de pains que l'on fait cuire en même temps dans un four

      Grigne : crêtes formées lors de la cuisson sur la croûte du pain.   

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Commentaires
M
Né en 1942, j'ai travaillé dans la pâtisserie familiale dès l'âge de 14ans. Nous avions avec mon grand-père, mon père et moi, un four où l'on brûlait des fagots à même dans le four (fagots qui passait la nuit dedans pour être bien secs) la fumée ressortait par devant la bouche (la porte du four) en fin de chauffe, on amenait la braise restante, sur le devant du four, avec un grand crochet métallique, qui s'appelait le "roual" cette braise était mise dans un grand étouffoir, pour pourvoir la réutiliser dans des réchauds pour la pâtisserie. Ensuite, mon père à moderniser le four, avec un foyer dessous, à l'avant, et un gueulard en bouche pour diriger la flamme. Le tirage et les fumées étaient aspirées par le fond du four par des ouvertures dans la voûte qui s'appelaient des "ouras" que l'on fermait par des tirettes une fois la chauffe finie. J'ai travaillé aussi en boulangerie, même principe que le four à gueulard décris au dessus. Souvent la première fournée était chaffé au bois (de la charbonnette plus courte que les fagots) et les suivantes fournées, etait chauffé au fuel. Deux buses, genre lance-flamme qui propulsaient un mélage mazout et air pas un compresseur. Cela produisait un fort bruit pendant les 20 mn, où nous ne pouvions pas s'entendre parler! et ceci pendant toutes les fournées au nombre 8/10 parfois plus, car la veille du jour de fermeture il fallait faire "le doublage" c'est a dire le double de fabrication? souvent 12/13 h de travail sans pose... juste un moment pour casser une croûte. De plus tout était pesé au début pain par pain et "tourné à la main. Ensuite est apparu les diviseuses, et façonneuse. La boulange des années 55/60 c'était une autre époque!.
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